En 1981 et 1983, Nelson Piquet arracha ses deux premières couronnes mondiales. Dès 1984, un autre Brésilien, Ayrton Senna faisait parler son talent en F1. Entre le carioca Piquet et le pauliste Senna, une terrible rivalité allait s’installer. Les deux compatriotes allaient se détester pendant des années, jusqu’à la retraite de Piquet, en 1991.
A peine Nelson Piquet avait-il remplacé Emerson Fittipaldi dans le coeur des Brésiliens qu’un certain Ayrton Senna da Silva débarquait dans l’élite des pilotes, en 1984.
En 1981 et 1983, Piquet avait gagné deux couronnes mondiales. Dauphin d’Alan Jones en 1980, le pilote carioca était sorti vainqueur d’un championnat très serré en 1981, face à la concurrence redoutable de Carlos Reutemann, Jacques Laffite, Alan Jones ou encore Alain Prost. Mais sachant que d’autres pilotes, comme Gilles Villeneuve, avaient pu remporter des victoires (à Monaco et Jarama pour l’acrobate canadien de Ferrari), les points valaient extrêmement cher en cette saison 1981 qui vit donc l’apothéose de Piquet. Sur un circuit indigne de la F1, au Caesars Palace de Las Vegas, le Brésilien arracha le titre devant Carlos Reutemann, tétanisé par l’enjeu et marginalisé chez Williams, après qu’il eut devancé Jones pour une victoire à Rio de Janeiro, sous la pluie.
En 1983, fort du turboBMW développé par Paul Rosche, Piquet termina le championnat en trombe, dépassant Alain Prost au classement lors de l’ultime manche, à Kyalami. Cet épilogue heureux pour Piquet lui permettait d’égaler Niki Lauda, pilote le plus capé du plateau (double champion du monde en 1975 et 1977). Prost, qui allait quitter Renault dans l’optique de 1984, fut touché par cette défaite, tandis que le Losange ne porta pas plainte, suite à une polémique sur la non conformité de l’essence utilisée par la Brabham BMW BT52 de Piquet ...
Un mois plus tard, un certain Ayrton Senna da Silva gagnait le Grand Prix de Macao avec une déconcertante facilité, dominant d’autres pilotes de F3 dans ce qui représentait en quelque sorte le championnat du monde officieux de la catégorie.
En 1984, l’écurie Brabham, via son sponsor Parmalat,voulait un pilote italien pour remplacer Riccardo Patrese, parti chez Alfa Romeo. Ayrton Senna, malgré son talent, qui avait impressionné le propriétaire de l’équipe, un certain Bernie Ecclestone, n’était donc pas le bienvenu étant donné l’influence du sponsor italien. Mais la cohabitation avec son compatriote aurait été impossible, NelsonPiquet ayant traité Senna de chauffeur de taxi de Sao Paulo ...
En 1983, Senna avait effectué un premier essai en F1à Donington, chez Williams. Autant que par son pilotage vertigineuxque par son approche du dialogue avec les ingénieurs, le jeune Brésilien avait impressionné FrankWilliams, qui devra attendre dix ans pour faire de Senna son pilote ...Approché par Brabham et McLaren, le jeune Brésilien signa finalement avec l’écurieToleman dans l’optique de la saison 1984, alors qu’Emerson Fittipaldi faisait le deuil de son come-back dans l’élite des pilotes, payant le prix de ses médiocres années Copersucar.
Le talent d’Ayrton Senna crevait les yeux, et Nelson Piquet perçut très vite le rookie comme une doublemenace, poursa popularité au Brésil mais aussi et surtout pour la victoire en F1, objectif ultime de pilotes de cette trempe.
Très vite, l’animosité entre les deux compatriotes fut manifeste. Pourtant, leurs points communs étaient nombreux.
Piquet comme Senna portaient le nom de leur mère. Issus chacun d’une famille riche, ils avaient écrasés le prestigieux championnat d’Angleterre de F3, tremplin idéal vers la F1 (en 1978 pour Piquet, en 1983 pour Senna). Et très vite, ils avaient été propulsés vers la victoire en F1 ... en 1980 chez Brabham pour Piquet, comparé à un jockey par Frank Williams en opposition à Jones, soldat de la guerre du Viet Nam, et en 1985 chez Lotus pour Senna.
L’année 1986 allait marquer le premier affrontement sportif de ces deux prodiges venus d’Amérique du Sud. Juan Manuel Fangio n’avait jamais affronté son compatrioteOscar Galvez en F1, tandis que Froilan Gonzalez n’avait pas représenté pour le maestro une menace pérenne.Dans les années 70,Emerson Fittipaldi boxait dans une catégorie supérieure à son frère Wilson ainsi qu’à Carlos Pace ... Pour la première fois, deux pilotes sud-américains faisaient partie de l’élite.
Avec AlainProst, Nigel Mansell, Michele Alboreto et Keke Rosberg, les deux compatriotes brésiliensétaient les vedettes de ce championnat du monde 1986 ...
Dès la manche d’ouverture au Brésil, Senna et Piquet allaient se cotôyer sur le podium, Piquet gagnant devant son jeune compatriote. Plus tard dans la saison, un somptueux duel les opposerait à Budapest, pour le premier Grand Prix de Hongrie de l’Histoire du championnat du monde. La Williams de Piquet dominerait la Lotus de Senna à l’issue d’un duel titanesque où chaque protagoniste n’avait cessé de repousser ses propres limites. Pilotant au paroxysme de la rage, sous un soleil de plomb, les deux héros brésiliens avaient repoussé les limites du freinage, Piquet usant du contre-braquage, tel un pilote de rallye scandinave, après avoir dépassé Senna à plusieurs reprises. Premier grand battu pour la couronne mondiale 1986, à Estoril, Ayrton Sennagagnait ses galons de pilote d’élite, alors que Piquet n’arrivait pas à dominer Mansell chez Williams Honda, un coéquipierqu’il considérait pourtant comme un second couteau, à tort...
Avant le début du championnat 1987, Piquet déclara que Senna n’aimait pas les femmes. Au lieu d’avoir une réaction chevaleresque, en se battant avec Piquet, ou de poser avec une jolie nymphe rencontrée sur les plages d’Ipanema ou Copacabana, Senna se présenta sur le circuit de Rio de Janeiro en bredouillant quelques mots qui n’eurent aucun impact sur les journalistes. Le venin de Piquet avait fait mouche ... La diva carioca était vieillissante et jalouse, car la jeune étoile pauliste, Senna, allait bientôt exploser en supernova, et dominer toute la galaxie F1, jusqu’à en éblouir la lumière principal, celle de Prost, l’astre qui brillait le plus après l’extinction de Lauda.
Autre pique de Nelson envers Ayrton, toujours avant le début de la saison 1987 ... Maintenant qu’il a un Honda, Ayrton ne pourra plus se plaindre de ses moteurs.
Plus tard dans la saison, Piquet fit une déclaration qui prouvait qu’il avait enfin adoubé Senna dans la caste des intouchables, des pilotes qu’il estimait digne de combattre avec lui au sommet de la pyramide ... Cette année, Ayrton se bat avec moi pour le titre, mais aussi avec Prost et Mansell, preuve qu’il fait désormais partie des grands.
1987 sonna l’heuredu derniertitre mondialde Piquet, qui décrochait le sceptre pour la troisième fois. Gravement marqué par un accident à Imola, Piquet avait perdu sa grinta. L’irrésistible sprinter d’autrefois (9 poles en 1984) avait laissé place à un pilote calculateur, tandis que Senna, délicieux cocktail de panache, de virtuosité et d’énergie, ne cessait de progresser. La couronne mondiale ne pourrait plus lui échapper ...
1987 marqua un tournant dans la hiérarchie entre le jeune et l’ancien. Proche d’Alain Prost, Nelson Piquet aurait pu rejoindre McLaren. Lassé de sa collaboration avec Williams, Piquet voulait donc quitter Didcot. Jaloux de Mansell, qui le dominait en vitesse pure, le Carioca en voulait surtout à Frank Williams et Patrick Head, qu’il estimait responsable de la situation chaotique régnant dans l’écurie. Exigeant un statut de pilote numéro 1 en raison de son palmarès éloquent, Piquet s’était toujours vu opposer un veto de la part de Frank Williams. Sensible aux exploits de son compatriote Mansell, qui par sa combativité légendaire lui rappelait Alan Jones et Keke Rosberg, le patron de l’écurie anglaise soulignait aussi l’écart de rémunération entre ses deux pilotes. Piquet, beaucoup mieux payé que Mansell, n’apportait pas de meilleurs résultats. Dès lors, il semblait logique à Williams et Head de ne pas avantager Piquet par rapport à Mansell. La guerre civile ne tarda pas à s’installer chez Williams Honda, ce qui exaspéra le motoriste japonais. Comme en 1973, où Jackie Stewart avait profité de la lutte fratricide entre Emerson Fittipaldi et Ronnie Peterson chez Lotus, un troisième pilote tira les marrons du feu. Malgré de nombreuses victoires dans la campagne mondiale 1986, le tandem Williams allait perdre la guerre, remportée par Alain Prost avec McLaren TAG Porsche. En 1987, Honda décida de quitter Williams. Séduit également par Senna et Piquet, le constructeur japonais décida d’articuler ses efforts autour des écuries Lotus et McLaren.
Ron Dennis voulait reconstituer une Dream Team à Woking, déçu par les performances de Stefan Johansson chez McLaren. Le pilote suédois n’avait pas l’envergure d’un champion tel que Niki Lauda. Orphelin de Lauda, Prost était seul maître chez McLaren. Piquet ne signa pas avec Ron Dennis, refroidi par les contraintes imposées par Marlboro. De plus, malgré son affinité avec Piquet, Alain Prost conseillait à Ron Dennis d’engager Ayrton Senna, grand espoir de la discipline. Le Français estimerait que le recrutement de Senna apporterait plus à l’équipe McLaren que celui de Piquet. Senna rejoignit donc McLaren en 1988, tandis que Piquet trouva refuge chez Lotus. Mais McLaren avait le vent en poupe. Equipe phare de Honda, McLaren domina la F1 de 1988 à 1991, offrant à Senna trois couronnes mondiales en 1988, 1990 et 1991, qui lui permettaient d’égaler Piquet dans la galerie des champions du monde brésiliens.
Un jour de 1993, accompagné de sa muse Adriane Galisteu, Ayrton Senna changea de table dans un restaurant au Portugal ... Adriane demanda à Ayrton la raison de son attitude. Il ne voulait pas voir l’ennemi ... Nelson Piquet.
En 1990, à Suzuka, après que l’accrochage Senna - Prost eut offert le titre au premier nommé dès le premier tour, Nelson Piquet remporta une course où les coéquipiers des deux titans, en l’occurrence Mansell et Berger, avaient failli.En conférence de presse, le triple champion du monde, qui n’avait pas connu de victoire depuis Monza en 1987 (avec Williams Honda), eut cette phrase, magnifique d’humour, qualité qu’il maniait avec plus ou moins de vice depuis des années ... Pour les nouveaux, je tiens à préciser que je m’appelle Nelson Piquet. Et le petit chauve à côté de moi, c’est Roberto Moreno!
En mai 1994, Piquet fut un des rares grands noms de la F1 à ne pas venir aux obsèques de son illustre compatriote. Il aurait été indécent de ma part de mêler ma peine à celle des gens qui l’avaient vraiment connu et aimé, déclara avec sincérité celui qui était orphelin, comme tous les Brésiliens, d’un champion d’exception, par son palmarès comme par son charisme, Ayrton Senna.
Avant de quitter ces deux immenses pilotes, ambassadeurs de l’âge d’or de la F1 dans les années 80, le mieux est de laisser la parole à Gordon Murray. Le génial designer sud-africain a travaillé avec Nelson Piquet chez Brabham de 1979 à 1985(où il a égalementcroisé la route de Niki Lauda), avant de collaborer avec Ayrton Senna chez McLaren en 1988 et 1989(ainsi qu’Alain Prost).
Interrogé en 1998 sur Senna,voilà ce que disait Murray ... J’ai eu plus de plaisir avec Nelson et autant de succès mais ces deux ans passés comme ingénieur d’Ayrton furent très plaisants. Voilà quelque chose que je garderai en moi pour toujours. J’aurais adoré travailler avec Clark mais je n’en ai eu jamaisl’opportunité. [...]
Je dois dire que depuis Clark et jusqu’à Senna, je n’avais ressenti un tel feeling pour un pilote. Cette manière de gagner ... Schumacher est au niveau de Piquet et Senna était vraiment ... Bon, je ne désire pas diminuer les mérites de Piquet car on ne remporte pas trois championnats du monde sans être un pilote exceptionnel, mais vous voyez ce que je veux dire. Senna, c’était un autre niveau, tout comme Clark.